L’Association Française des Biotechnologies Végétales www.biotechnologies-vegetales.com a organisé un colloque sur le thème « Technologies numériques au service des biotechnologies et des agricultures » le 18 octobre 2018. Morceaux choisis.
Deux points méritent attention, indique d’emblée Alain Deshayes, président de l’AFBV : d’une part, la relation entre les semenciers et les agriculteurs ; d’autre part, l’évolution de la place des données dans le processus de sélection. Alain Bonjean, consultant, retrace l’histoire de la sélection du blé et montre la nécessité d’aller plus loin et plus vite grâce aux nouvelles technologies de manière à atteindre en 2050 une production de 900 millions de tonnes de blé pour nourrir une population mondiale de 10 milliards d’habitants.
Technologies et sélection végétale
Selon Georges Freyssinet, consultant en biotechnologies, la transgénèse et l’édition génomique nécessitent la production de nombreuses plantes qu’il faut trier selon deux axes : une analyse moléculaire et une analyse phénotypique. Si la première est assez bien maîtrisée, il n’en est pas de même pour la seconde qui requiert de nouvelles technologies d’évaluation du phénotypage. François Tardieu, directeur de recherches à l’INRA de Montpellier, travaille sur les plateformes de phénotypage au champ pour tester la réponse de nouveaux génotypes à la diversité des conditions environnementales, en particulier celles liées aux changements climatiques. Alimenté par le programme Phénome, le big data (données massives) va permettre de faire de la modélisation en combinant essais et grilles environnementales. Le génotypage, associé au phénotypage, à la télédétection, aux réseaux de capteurs, offre la possibilité de réaliser des prédictions de rendement à la taille de la parcelle… mais aussi de l’Europe entière.
De nouveaux outils
Arezki Boudaoud, directeur-adjoint du Laboratoire Reproduction et Développement des Plantes, présente de nouvelles méthodes d’imagerie en combinant des approches de génétique moléculaire, de la microscopie confocale pour quantifier la croissance cellulaire, de la microscopie à force atomique pour mesurer les propriétés mécaniques des cellules, et des modèles mathématiques pour tester les hypothèses formulées. La société Carbon Bee AgTech, représentée par Aurélie Thébault, propose des outils innovants de détection précoce par imagerie pour améliorer la qualité des productions agricoles. La technologie repose sur l’utilisation d’un détecteur hyperspectral (AQiT-Sensor) associé à des algorithmes d’intelligence artificielle. L’outil, combinant caméra RGB, infra-rouge et tomographie, pèse 1 kg et s’adapte à différents types de supports tels que drone, tracteur ou smartphone.
Développement sur le terrain
Directeur scientifique d’ARVALIS, Philippe Gate brosse le tableau du développement du numérique en agriculture. Les agriculteurs plébiscitent les OAD – outils d’aide à la décision, combinant capteurs et bases de données, qu’il s’agisse de gérer la protection des cultures, les besoins en azote ou le bilan hydrique… Un dispositif comme Farmstar couvre aujourd’hui 800 000 ha en France. Le guidage RTK, les stations météo, les drones, les robots… sont devenus monnaie courante. A titre indicatif, le réseau Digifermes réunit à ce jour 40 partenaires. Le big data, via le deep learning (apprentissage profond), commence à être valorisé pour estimer les densités de population ou d’épis, et bientôt reconnaître les bio-agresseurs. Des plateformes d’échanges de données (API-Agro) ouvrent des moyens nouveaux de co-construction de services entre partenaires. A plus long terme, l’objectif est de proposer à l’agriculteur un tableau de bord numérique pour améliorer la multi-performance de son système de culture et favoriser la transition agro-écologique de son exploitation.
Conséquences en termes de conseil
Du côté des sélectionneurs, Laurent Barthez, en charge de l’agriculture numérique chez Limagrain, estime que le métier de semencier nécessite de maîtriser la génétique, le climat mais aussi le sol, ce qui est moins bien le cas. Les nouvelles technologies devaient permettre de délivrer une prescription sur mesure à la parcelle, par exemple une carte de densité de semis spécifique à chaque variété, ce qui sera proposé par Limagrain sur 5 000 ha de maïs en 2019.
Jean-Marie Séronie, consultant agro-économiste, analyse les conséquences des évolutions technologiques sur l’accompagnement des agriculteurs et l’évolution du conseil. Il constate sur le terrain « moins d’intrants et plus de connaissances ». Le numérique permet de se dégager des tâches rébarbatives et de fonctionner avec des alertes, l’agriculteur raisonne différemment et travaille avec des tableaux de bord. Avec le numérique, les firmes d’amont sont en contact direct avec les agriculteurs, les données sont « open ». Il s’en suit un chamboulement du modèle économique des organismes de conseil, d’autant plus avec la séparation de la vente et du conseil promulguée dans la loi EGAlim. Le conseil est aujourd’hui encore territorialisé ; demain, il faudra aller chercher des réponses ailleurs. Certains agriculteurs deviendront eux-mêmes consultants…
Les nouvelles technologies sont rentables sur l’exploitation
Claude Ménara est agriculteur avec son fils, dans le Lot-et-Garonne, sur une superficie de 450 ha irriguée en totalité. Ils produisent maïs doux, maïs pop-corn, maïs grain, blé de force, petits pois et haricots verts. Depuis 1983, Claude Ménara n’a cessé d’utiliser les nouvelles technologies sur son exploitation : photos aérienne en proche infra-rouge, autoguidage de précision, cartographies de résistivité du sol, de rendement, etc. Il aime parler d’agriculture mesurée et non pas raisonnée, et de ses salariés « technologues ». Pour lui, il s’agit de produire plus, mieux et avec moins, grâce à l’autoguidage des semis, à la modulation de l’épandage d’azote, au pilotage de l’irrigation, etc. Claude Ménara a fait son calcul : l’ensemble des investissements liés aux nouvelles technologies s’est élevé à 160 000 € ; l’économie réalisée se chiffre à 53 000 € par an. D’où un retour sur investissement de 3 ans.